#webtube : Jordan Bardella ne peut désormais plus se rendre à une simple séance de dédicace sans que l’événement ne soit traité comme une provocation politique majeure. À Caen, comme dans d’autres villes, une rencontre banale entre un auteur et ses lecteurs se transforme systématiquement en point de fixation pour une agitation militante organisée. Il ne s’agit ni d’un meeting, ni d’un rassemblement public, mais d’un moment privé, légal, déclaré, encadré. Pourtant, des groupes surgissent, parfois accompagnés d’élus, pour perturber, faire pression, créer du désordre et tenter d’empêcher matériellement le déroulement normal de la signature. La scène est devenue presque mécanique.
Un livre, une table, des lecteurs, et immédiatement une opposition qui refuse jusqu’à l’existence même de cet espace. Ce n’est pas une contestation argumentée, ce n’est pas un débat contradictoire, c’est une intrusion volontaire dans un lieu qui ne leur appartient pas, avec un objectif simple et assumé : faire obstacle. Ce premier niveau est essentiel à comprendre, car il montre que le problème ne commence pas avec les idées exprimées dans le livre, mais avec le fait même qu’un responsable politique puisse encore s’adresser physiquement à des Français sans être entravé. Ce qui vient ensuite, presque mécaniquement, c’est le procès moral sans lecture, l’accusation sans travail, la condamnation sans preuve.
La députée La France insoumise Emma Fourreau l’illustre parfaitement lorsqu’elle affirme que le livre poserait problème, véhiculerait des idées racistes, homophobes et antisémites, et que son auteur ne serait pas républicain. Tout est posé d’un seul bloc, sans citation, sans analyse, sans référence précise au contenu, avec une désinvolture assumée. Le livre n’a pas besoin d’être lu pour être condamné. Sa simple existence suffit à déclencher l’anathème. Ce mécanisme est devenu central dans la pratique politique de cette gauche-là. On ne réfute plus un propos, on disqualifie une personne. On ne démonte plus une thèse, on colle des étiquettes. Raciste, homophobe, antisémite, non républicain. Le vocabulaire est toujours le même, interchangeable, automatique. Il ne sert pas à éclairer le débat, mais à le fermer.
Caen est antifasciste !
— Emma Fourreau (@emma_frr) December 20, 2025
Le Front National est un rassemblement de voleurs, de racistes et d’antisémites.
Nous sommes venu•es le rappeler à l’occasion de la venue de Bardella 🙅♀️🍳 pic.twitter.com/WuoIwMHFaI
À partir du moment où ces mots sont prononcés, toute discussion devient inutile, voire suspecte. Celui qui lit, qui écoute, qui s’intéresse devient à son tour complice. Ce n’est pas une critique politique, c’est une procédure d’excommunication. Et elle est d’autant plus violente qu’elle se dispense de toute rigueur intellectuelle. Le livre pourrait être un roman, un témoignage ou un recueil de paroles, le résultat serait identique. Ce qui est visé, ce n’est pas le texte, c’est le droit même de parler, d’écrire et d’être entendu hors du cadre idéologique autorisé. Ce qui rend cette mécanique encore plus préoccupante, c’est l’impunité totale dont elle bénéficie. Les perturbations sont visibles, revendiquées, parfois même relayées fièrement sur les réseaux sociaux, et pourtant rien ne suit. Pas de rappel à la loi, pas de sanction, pas même un rappel de principe sur le respect des règles élémentaires.
Des groupes peuvent s’inviter dans un événement privé, tenter d’en bloquer l’accès, intimider les participants, sans jamais être inquiétés. Cette tolérance n’est pas accidentelle, elle est structurelle. Elle repose sur une hiérarchie idéologique implicite : certains troubles à l’ordre public sont excusables, d’autres ne le sont pas. Tout dépend de qui les commet et au nom de quoi. Lorsqu’il s’agit d’empêcher un adversaire politique de s’exprimer, l’entrave devient presque vertueuse. Le désordre est requalifié en engagement. L’intimidation devient une posture morale. Cette asymétrie crée un précédent dangereux, car elle envoie un signal clair : il est permis d’entraver la liberté d’expression tant que la cible est jugée illégitime. L’État, en se taisant, valide de fait cette pratique. Il laisse s’installer l’idée que certaines opinions peuvent être combattues non par l’argument, mais par la pression physique et la dissuasion collective.
À ce stade, on ne parle plus seulement de militantisme agressif, mais d’une remise en cause concrète de l’égalité devant la loi. Et c’est précisément ce silence institutionnel qui transforme ces scènes locales en symptôme politique majeur. Ce qui se dessine derrière ces scènes répétées, ce n’est pas une colère spontanée ni une mobilisation populaire, mais une méthode. Une façon d’agir qui considère que la démocratie n’est acceptable que tant qu’elle produit les bons discours, les bons auteurs et les bons vainqueurs. Dès lors qu’un livre, une parole ou une présence échappe à ce cadre, elle devient illégitime par nature. Il n’est plus nécessaire de convaincre, encore moins de débattre. Il suffit d’empêcher. Empêcher que l’événement ait lieu, empêcher que le public écoute, empêcher que le livre circule normalement.
Cette logique est profondément autoritaire, même si elle se pare d’un vocabulaire moral et progressiste. Elle repose sur l’idée que certains citoyens seraient trop influençables pour lire par eux-mêmes, trop dangereux pour être exposés à des idées non validées, et qu’il faudrait donc filtrer, encadrer, bloquer à leur place. C’est une vision infantilisante du peuple, combinée à une obsession du contrôle symbolique. Ceux qui agissent ainsi ne se vivent pas comme des censeurs, mais comme des gardiens. Ils ne parlent pas de censure, mais de protection. Protection contre les mots, contre les livres, contre les rencontres. Cette posture est d’autant plus inquiétante qu’elle s’installe dans la banalité, sans violence spectaculaire, sans uniforme, sans rupture apparente. Elle avance masquée, convaincue d’agir pour le bien, et c’est précisément ce qui la rend dangereuse.
Au bout du compte, ces épisodes disent moins de Jordan Bardella que de ceux qui prétendent le combattre. Ils révèlent une gauche radicale qui ne croit plus à la confrontation des idées, qui ne fait plus confiance au débat, ni aux citoyens, ni même aux règles qu’elle invoque en permanence. Incapable d’emporter l’adhésion par l’argument, elle se replie sur la disqualification morale, puis sur l’entrave concrète. Le livre devient un prétexte, la dédicace un symbole, l’auteur une cible. Peu importe le contenu réel, peu importe ce qui est écrit ou dit, l’essentiel est d’empêcher que cela circule. Cette logique n’est pas marginale, elle est appelée à s’étendre. Car chaque absence de réaction, chaque tolérance accordée, chaque silence officiel renforce l’idée que cette méthode fonctionne. Aujourd’hui, on perturbe une signature.
Demain, on exigera l’annulation d’une conférence. Après-demain, la fermeture d’un lieu, puis la mise à l’index de ceux qui auront simplement écouté ou lu. Ce n’est pas un fantasme, c’est une pente. Une pente où l’on ne cherche plus à convaincre une majorité, mais à intimider une minorité jusqu’à ce qu’elle se taise. Les slogans changent, les visages aussi, mais la logique est ancienne. Elle repose sur une certitude dangereuse : celle de détenir le monopole du bien et le droit de décider qui peut encore parler. C’est ainsi que naissent non pas des débats démocratiques, mais des polices idéologiques. Et c’est toujours au nom des meilleures intentions que l’on commence à rogner les libertés les plus élémentaires..
Jérôme Viguès, Riposte Laïque
