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#webtube : Avec cette aventure sous le signe du grand large, le duo respecte la tradition. Chaque nouvelle sortie d’un album d’Astérix le Gaulois est un événement en soi. On épargnera au lecteur la valse des chiffres. Mais pour néanmoins en donner un bref ordre d’idées, qu’il sache que cet Astérix en Lusitanie a été tiré à cinq millions d’exemplaires, dont deux pour la France, le tout traduit en dix-neuf langues.
Pourtant, il y a belle lurette qu’on allait acheter chaque nouvelle aventure en traînant des pieds, sachant bien qu’elle serait encore pire que la précédente. Autant dire que depuis la mort de René Goscinny, en 1977, c’était la dégoulinante infernale. Bien sûr, Albert Uderzo n’avait rien perdu de son brio aux pinceaux. Mais sans scénario digne de ce nom, c’était à chaque fois le fiasco. Pareille mésaventure est survenue à Lucky Luke, le héros de Morris, condamné à la même dégringolade, depuis le décès du roi René. Depuis, Astérix a néanmoins survécu, au cinéma surtout, mais en adaptant des albums du répertoire – ceux de la gloire passée.
Pourtant, et ce, histoire de paraphraser le maître de Martigues, si le désespoir, en politique, demeure une sottise absolue, il peut aussi en être de même de la bande dessinée, même si Charles Maurras nous a quittés sans avoir jamais fréquenté cet irréductible Gaulois qui, sans nul doute, ne lui aurait sûrement pas déplu.
L’Iris blanc, l’album de la renaissance…
Et c’est en 2022, quand sort L’Iris blanc, que survient le miracle. Uderzo a déjà passé la main à Didier Conrad, presque tout aussi virtuose, mais condamné à illustrer des histoires ineptes et baignant trop souvent dans l’air du temps. Le naufrage paraissait alors inéluctable, mais débarque un nouveau capitaine qui redresse enfin la barre : Fabrice Caro, dit Fabcaro.
Le sauveur n’est pas très capé. Ancien professeur, il a certes signé quelques scénarios ayant attiré l’attention de la critique. Pour le reste, il officie en tant que musicien, en solo ou dans le groupe de rock Hari Om. Pas de quoi fouetter un chat, et encore moins un Gaulois. Il n’empêche que cet Iris blanc fait figure de véritable renaissance. On y retrouve l’humour de Goscinny, avec ses jeux de mots innombrables et sa satire des travers du moment. Mieux : marchant dans les pas de son lointain mentor – il n’avait que quatre ans quand il est mort –, il le fait sans méchanceté, mais toujours avec acuité. Car avec René Goscinny, si l’humour pouvait être acéré, il n’était jamais cruel ou ricanant : c’était un rire franc. Un rire éminemment français, dira-t-on.
Retour à un humour bienveillant…
Avec cette aventure sous le signe du grand large, le duo respecte la tradition : une aventure au village et l’autre dans le lointain. Ici, la Lusitanie – soit le Portugal.
Tel qu’il se doit, il en pointe les travers, tel que fait naguère avec les Ibères, les Suisses, les Britons, les Goths, les Corses, les Belges et autres ancestrales peuplades de notre vieille Europe. Et comme l’humour est une chose sérieuse et que railler l’Histoire demande d’au moins la maîtriser, Fabcaro s’est penché sur celle de nos voisins, allant même jusqu’à dénicher l’équivalent local de notre Vercingétorix national, un certain Viriate. Interrogé par le JDNews, il nous en dit plus : « Je l’ai découvert en me documentant. C’est un peu le Vercingétorix lusitanien, qui a résisté aux Romains, a été trahi. » Pour le reste, il suffit d’un peu connaître nos cousins portugais, l’une des premières communautés issues de l’immigration en France, mais dont le moins qu’on puisse prétendre est qu’elle ne cause guère de troubles ici ; hormis le fumet des sardines grillées au barbecue du voisin.
Très logiquement, le fado, ce blues de là-bas, dont notre scénariste attribue la naissance à la trahison dont Viriate fut victime : « J’ai un peu tordu l’Histoire, à la manière dont Obélix qui aurait cassé le nez du Sphinx, en Égypte ! » C’était dans Astérix et Cléopâtre, l’un des summums des deux compères historiques et qui faisait alors référence au film de Joseph Mankiewicz, avec Richard Burton et Liz Taylor, tourné en 1963. Si la référence à l’Histoire a toujours été obligatoire, dans le cahier des charges d’Astérix, celles ayant trait à une actualité plus immédiate l’étaient tout autant. Dans L’Iris blanc, Fabcaro riait des trottinettes urbaines, des pythies du bien-être et du développement personnel. Il se lâche, ici, sur d’autres cibles : les experts en communication et leur franglish (du latino-portugais, en l’occurrence), le libre-échange mondialisé, la grande distribution et les aigrefins de la finance.
En revanche, toute sa tendresse va à la mélancolie portugaise, issue du même fado, à leur fatalisme empreint de gaité et à leur sens de l’hospitalité jamais pris en défaut. Sans oublier, évidemment, le bacalao, cette morue séchée dont ils font leur ordinaire presque trois fois par jour, mais qui ne semble pas forcément régaler ce glouton d’Obélix. Lequel, tailleur de menhirs de profession, s’interroge sur la manie lusitanienne de transformer toute cette bonne pierre en pavés, les uns noirs et les autres blancs. Et puis cette obsession de la faïence qu’on n’appelle pas encore azulejos…
À quelques kilomètres de l’endroit où ces lignes sont écrites, les bistrots fréquentés par nos chers compatriotes franco-portugais ne manquent pas. Depuis ce samedi, ils ne parlent quasiment que de ça. Astérix en Lusitanie ? Ils l’ont déjà lu ou le liront bientôt. Les premiers mettent l’eau à la bouche des seconds, sur le thème : « Voilà des gars qui ont tout compris de ce que nous sommes. Il n’y avait bien que des Français pour y arriver ! »
Bravo, Conrad et Fabcaro !
Nicolas Gauthier, dans BV
